Arrêtons-nous l’espace d’un instant sur une idée controversée : c’est parce qu’il nourrit notre avidité que le capitalisme serait déplorable ou, autrement dit, l’esprit capitaliste conduit l’individu à la recherche de la maximisation des profits et des bonheurs fugaces. C’est notamment la thèse de nombreux ouvrages qui opposent notre système capitaliste, parangon d’un monde fini, à nos désirs infinis. Cependant, l’histoire et ses historiens restent perplexes devant cette thèse de la cupidité : pour détruire les profits irrationnels, s’agirait-il seulement d’abattre le veau d’or capitaliste ? Le dixième Commandement, sur la convoitise, ne s’appliquerait-il qu’à partir du loup de Wall Street ?

La réalité est en fin de compte bien plus complexe. Certes, le capitalisme actuel nous incite à toujours plus travailler et dépenser. En revanche, la cupidité n’est nullement l’apanage du capitalisme. Elle était même bien plus développée dans certaines sociétés précapitalistes.
A ce titre, Marcus Licinius Crassus, général consul dans la Rome du premier siècle avant J.-C., nous livre une certaine idée de l’avidité au travers de cette phrase, rapportée par Plutarque et Cicéron : « Nul n’est riche à moins de pouvoir entretenir sur ses biens une armée en campagne. » Et riche, il le fut. Au cours de son premier consulat, il offre un banquet à l’intégralité des 70 000 Romains sur ses deniers personnels et leur fournit, à tous, l’équivalent de trois mois de céréales. Cupide, il le fut également. Bien qu’immensément riche, Crassus fut accusé et reconnu coupable d’avoir couché avec une vestale, Licinia, en vue d’acquérir sa propriété à un prix avantageux. Quand on sait que les vestales faisaient vœux de chasteté et que cette Licinia était sans doute une parente de Crassus, on mesure à quel point la cupidité de l’homme pouvait être forte. « L’exécrable faim de l’or » (auri sacra fames, en latin), chantée par Virgile, semble indissociable de l’entreprise humaine. Et bien loin de vouloir l’exacerber, les pères fondateurs du capitalisme, de la Réforme et de l’esprit bourgeois n’ont justement eu de cesse de le tempérer par des comportements sociaux plus neutres.
L’histoire humaine est semée d’anecdotes sur la cupidité. Et sans doute que demain, vous lirez un fait divers de même nature. Eradiquer l’avidité semble une tâche surhumaine et ce n’est pas tant le capitalisme qui est porteur de ce péché mais sans doute les organisations humaines en elles-mêmes. En revanche, la finance durable peut s’attacher à la débusquer, la contraindre et la limiter.